Préface
Christophe Gallaz

Floriane cherche la sortie. Elle ne se promène pas au Pays des Merveilles, bien qu'elle offre à ses interlocuteurs un air de candeur perpétuellement amusée. Elle se promène au pays d'aujourd'hui, à la fin du XXe siècle, au milieu des sociétés contemporaines, quand les signes ne servent plus à rien : quand les représentations du passé n'articulent plus le présent et quand ce présent se connaît par conséquent si mal, et si peu, qu'il ignore son propre avenir.

Le pays de Floriane est donc riche en marbres et granites variés, modelés en colonnes doriques, sculptés en chapiteaux ou polis comme des parvis, érigés sous l'aspect de temples ou tassés dans des arrière-fonds désertiques, qui ressemblent suffisamment à ceux de la Grèce antique pour qu'un touriste ordinaire s'y croie voyager. Mais puisque la Grèce antique n'a précisément pour seule fonction que celle de produire les touristes qui la visitent, ses vieux vestiges sont constellés d'emblèmes indiquant la modernité – devises publicitaires, silhouettes de pin-up ou visages rendus célèbres par les artifices du cinéma.

Que faire dans ce paysage, où le temps fait si bien collision avec lui-même ? Jouer, bien sûr, oou faire semblant de jouer, pour ne pas céder au désespoir. Construire des temples à trois colonnes au lieu de quatre, par exemple, ou multiplier les effets en trompe-l'oeil, ou superposer les motifs de décoration, ou tordre les perspectives de telle manière que les lignes qui devraient s'enfuir vers le fond se rejoignent au contraire devant.

Dans ce XXe siècle que j'évoque, beaucoup d'autres personnages ont précédé Floriane dans cette sorte d'exercice. Ils n'étaient pas peintres ni dessinateurs, bien sûr. Ils n'étaient pas angoissés par la disparition des signes, ni désireux de formuler cette disparition. Ils voulaient seulement jouir d'un pouvoir sur leurs congénères. Ils ont donc commencé par jouer, mais à leur manière et dans leur registre : trois colonnes au lieu de quatre, les trompe-l'oeil, les superpositions, la torsion des perspectives. Puis ils ont fini par répandre la terreur, organiser la guerre, ordonner les assassinats collectifs, établir les camps de concentration.

Voilà le genre de dérives que Floriane, évoquée jusqu'ici comme si c'était l'héroïne d'un conte pour enfants, excelle à suggérer. C'est en cela qu'elle est terriblement féroce et terriblement rouée. C'est en cela que son art du graffiti serait plutôt celui du palimpseste. Vous regardez les décors ambiants, qui ne sont évidemment pas ceux de la Grèce antique mais les beaux et joyeux décours de votre existence quotidienne, balcons de chalets suisses ou façades de mas en Provence, quartiers de cités provinciales ou secteurs de mégalopoles internationales – et vous y découvrez, en rebondissements furieux, la face du crime et de la solitude. Tel est le travail.